• A celle qui est trop gaie

      A celle qui est trop gaie

     

    L'Andalouse

     A celle qui est trop gaie

    Charles Baudelaire

    L'Andalouse

     

    A celle qui est trop gaie

     A celle qui est trop gaie

    Ta tête, ton geste, ton air
    Sont beaux comme un beau paysage ;
    Le rire joue en ton visage
    Comme un vent frais dans un ciel clair.

    A celle qui est trop gaie

    Le passant chagrin que tu frôles
    Est ébloui par la santé
    Qui jaillit comme une clarté
    De tes bras et de tes épaules.

    A celle qui est trop gaie

    Les retentissantes couleurs
    Dont tu parsèmes tes toilettes
    Jettent dans l'esprit des poètes
    L'image d'un ballet de fleurs.

    A celle qui est trop gaie

    Ces robes folles sont l'emblème
    De ton esprit bariolé ;
    Folle dont je suis affolé,
    Je te hais autant que je t'aime !

    A celle qui est trop gaie

    Quelquefois dans un beau jardin
    Où je traînais mon atonie,
    J'ai senti, comme une ironie,
    Le soleil déchirer mon sein ;

    A celle qui est trop gaie

    Et le printemps et la verdure
    Ont tant humilié mon coeur,
    Que j'ai puni sur une fleur
    L'insolence de la Nature.

    A celle qui est trop gaie

    Ainsi je voudrais, une nuit,
    Quand l'heure des voluptés sonne,
    Vers les trésors de ta personne,
    Comme un lâche, ramper sans bruit,

    A celle qui est trop gaie

    Pour châtier ta chair joyeuse,
    Pour meurtrir ton sein pardonné,
    Et faire à ton flanc étonné
    Une blessure large et creuse,

    A celle qui est trop gaie

    Et, vertigineuse douceur !
    A travers ces lèvres nouvelles,
    Plus éclatantes et plus belles,
    T'infuser mon venin, ma soeur !

     

     

                                                              Charles BAUDELAIRE   (1821-1867)


    A celle qui est trop gaie

    A celle qui est trop gaie

    A celle qui est trop gaie

     

    A celle qui est trop gaie